Avant toute chose il faut que vous sachiez que Steven Moffat est un dieu. Voilà, les mots sont lâchés et vous êtes dès maintenant conscients que mon opinion est loin d’être neutre lorsque j’écris les lignes suivantes.

En 2010, notre bien aimé scénariste de Doctor Who s’est associé à Mark Gatiss pour mettre en scène les aventures de Sherlock Holmes et de son comparse Watson pour le petit écran chanceux des britanniques. Un beau succès et une bonne idée puisque France Télévision les a diffusé peu de temps après. On félicitera d’ailleurs la chaîne pour cette initiative, tout en lui rappelant que ce serait sympa de faire l’effort de mettre la VO à disposition. Sur ce, je n’en rajouterais pas plus sur mes coups de gueule envers les chaînes françaises, on a mieux à faire.

C’est un exercice délicat que d’adapter une fois de plus l’œuvre de Sir Arthur Conan Doyle. Entre les films de Guy Richie ou les clins d’œil plus subtils comme Docteur House, il fallait trouver une façon de se démarquer. Avec des scénaristes de talent et quelques bonnes trouvailles de mise en scène, le défi est relevé avec brio. Ce Sherlock est résolument moderne, troquant sa pipe pour des patchs de nicotine et remplaçant le journal de Watson par un blog. Dans un même temps, ce qui fait ce personnage emblématique reste inchangé comme son violon, son penchant pour les drogues ou sa logique supérieure au commun des mortels.

Porté à l’écran sous les traits du fascinant Benedict Cumberbatch, c’est un Sherlock définitivement actuel qui nous est présenté. Accompagné par Martin Freeman en Watson très convaincant, le célèbre détective va évoluer dans des épisodes reprenant ces romans les plus connus. Le duo fonctionne à merveille, entre ce Sherlock condescendant, socialement inadapté, faisant de l’esbroufe à la moindre occasion et ce Watson fidèle, qui passe son temps à essayer de limiter les maladresses de son ami. Je pense qu’il est inutile de vous préciser que ce binôme déchaîne l’imagination des fans de Yaïo sur le net. Je m’emporte sur le charisme des deux héros mais, pour paraphraser la série, tous les contes de fées ont besoin d’un vrai méchant à l’ancienne. Ainsi « Jim » Moriarty, interprété par le charmant Andrew Scott, est le parfait contre-pied de ce Sherlock génial et prétentieux. Face au détective consultant, le criminel consultant s’amuse de voir son rival essayer de démêler ses plans, au plus grand plaisir des spectateurs qui peuvent apprécier son caractère aussi manipulateur qu’extraverti.

Je ne m’étendrais pas sur le sujet mais je tiens à souligner la force des personnages secondaires (le comissaire Lestrade, Mycroft Holmes, Molly Hooper, Mrs. Hudson…) qui sont aussi utiles à l’évolution de l’histoire qu’ils sont des prétextes pour laisser libre court à la personnalité de nos héros.

La série est un jeu d’équilibre efficace, oscillant en permanence entre innovation et respect de l’œuvre originale.  Illustrons ce propos avec le premier épisode, « Une étude en rose », qui  est  directement inspiré du premier opus mettant en scène ce héros : « Une étude en rouge ». Pour ceux qui ne l’auraient pas lu, le début est très similaire : un corps est retrouvé dans une maison, le mot « rache » est inscrit à proximité de la dépouille, d’autres meurtres suivant la même méthode vont avoir lieu. Mais très rapidement des différences vont apparaître, au plus grand plaisir des connaisseurs qui ne souhaitent pas voir un clone télévisuel de la version écrite. Au lieu de transporter le spectateur jusqu’aux Etats-Unis, l’histoire prend des allures de course poursuite au cœur de Londres et scelle des liens d’amitié indéfectibles entre Sherlock et son colocataire.

Cette façon de revisiter les classiques fonctionne dans les autres épisodes, même si les scénarios paraissent inégaux. Le deuxième épisode, par exemple, a un rythme moins prenant. Cependant, il me semble juste de préciser que même le meilleur des scénarios, s’il est placé entre une entrée en matière réussie et un bouquet final explosif, souffrirait obligatoirement de la comparaison.

Composée pour l’instant de deux saisons (6 épisodes en tout), cette série maîtrise les retournements scénaristiques et sait tenir le spectateur en haleine aux moments les plus efficaces. La fin de la première saison se termine sur une situation tendue, qui est résolue dans  le premier épisode de la saison suivante, et la seconde saison fait actuellement bouillir le cerveau de tous les fans qui tentent de résoudre l’énigme épineuse sur laquelle elle se termine.

Dieu me pardonne (hein s’il te plaît, Steven !) mais je regrette quelques faiblesses de la série qui auraient pu être évitées. En effet, si l’ensemble du concept est très intéressant, les originalités qui font son charme ne sont pas toujours utilisées à bon escient. C’est le cas,  par exemple, de l’incrustation de données à l’écran quand Sherlock réfléchit. Si le principe est percutant par moment, il est poussif dans certains épisodes, notamment celui des chiens de Baskerville (non, non, il n’y a pas de faute, le titre a été remanié).

J’oserais presque dire qu’il en devient ridicule, mais j’hésite, j’ai peur des foudres divines. Sur le même principe, l’un des tours qui rend le personnage de Sherlock fascinant est sa façon de décrypter en temps réel les informations sur les gens à partir de détails. Là encore (et je pense au même épisode que cité précédemment), ce tour de magie est parfois mal exploité et semble avoir été placé pour réveiller l’intérêt des rares spectateurs qui ne supporteraient pas une scène de dialogue classique.

Soyons honnêtes, ces petites imperfections n’entachent en rien l’énergie et la fraîcheur que dégage cette adaptation et Sherlock reste une valeur sûre en matière de référence télévisuelle. Si votre curiosité est piquée et que vous êtes impatients (et anglophone), vous pouvez toujours voir et revoir les épisodes grâce aux DVD de la saison 2 sortis courant janvier en Grande-Bretagne. Sinon, France 2 prévoit la diffusion de cette même saison fin mars – début avril. Je ne saurais que trop vous recommander d’aller ressortir votre télévision de votre cave et de profiter de ce rare programme de qualité, dont le doublage est plutôt bon.

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