Nouvelle écrite pour le défi n°4 du blog « En quête de mots » en juillet 2011, très en retard pour le rendu.

Contraintes à repsecter :
– le titre : Zone de confort
– utiliser les mots : facturable, duel, dégustation, calicot
– inclure les deux « clichés » ci-dessous :
Règle de Nostradamus : toutes les légendes sont des vérités historiques. Toutes les rumeurs sont des faits. Toutes les prophéties s’accompliront (et pas dans un avenir indéterminé, hein ! Tout de suite !).
Loi du jour des arbres : A un moment donné, vous devrez parler à un arbre et faire ce qu’il vous demande.

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Zone de confort.

Amélia habitait une grande maison au bout d’une impasse. Elle était bleue, s’étendait sur trois étages et son toit était couvert d’ardoises rondes. Sa chambre avait de beaux murs roses garnis de fleurs blanches, une assiette chaude l’attendait à sa place sur la table à manger aux heures des repas et,
certains soirs, elle avait droit de se blottir sur le canapé, entre son père et sa mère, pour regarder la télévision.

Ses journées s’écoulaient avec la lenteur d’une vie d’enfant. Elle jouait sans se soucier de rien, ou presque. Elle aimait beaucoup courir dans les couloirs en prétendant être dans un château mais dès qu’elle devait passer devant la porte qui cachait l’escalier du grenier, elle longeait le mur opposé sur la pointe des pieds. Elle entendait le souffle sifflant du monstre et ses longues griffes qui faisaient craquer le bois des marches. Parfois même, lorsqu’elle ne prenait pas garde, il poussait la porte avec ses pattes et l’entrouvrait pour la regarder passer mais elle s’enfuyait toujours à pleines jambes, ne lui laissant pas une chance de la saisir.

Derrière chez elle, le jardin était long de nombreuses enjambées et était entouré d’un muret de briques dévoré par le lierre sur lequel Amélia aimait grimper pour se faufiler dans les alentours. Elle emmenait souvent Lily, sa poupée en robe de princesse, dans ses explorations et elles se promenaient de longues heures toutes les deux dans les sous-bois avoisinants.

Un jour, alors qu’elle était assise sous un arbre, une voix vint jusqu’à ses oreilles.

« Que fais-tu sous mes branches, toi, la petite brune ? » demanda une voix fluette où perçait un peu la menace.

Amélia se redressa et sentit une présence derrière elle. Elle observa l’arbre sur lequel elle venait de s’appuyer en s’inquiétant de la provenance de ces paroles.

« Ne me regarde pas comme ça et réponds-moi ! » s’exclama la voix. Un bruissement se fit entendre dans les fourrés derrière le large tronc.

« Je suis Amélia, dit-elle d’une voix ferme. Et toi ? Qui es-tu ?

– Moi ? répondit la voix en se faisant plus grave. Je suis un arbre, ma foi ! Et je n’aime pas que l’on s’appuie contre moi sans me demander l’autorisation. Pour calmer ma colère tu vas devoir faire ce que je te dis ou sinon je t’attrape toute entière avec mes racines et je te donne à manger aux vers de terre ! »

Amélia commença à contourner l’arbre mais la voix reprit, plus aigüe qu’auparavant : « Non, arrête ! Tu n’as pas le droit de faire le tour de mon tronc, c’est pas juste, reste devant moi ! Et si tu fais ce que je dis, peut être que tu pourras voir mon copain humain mais pour l’instant t’as pas le droit de bouger ! »

La petite fille soupira profondément. Cet arbre n’était vraiment pas conciliant. Elle s’arrêta, leva les yeux vers les hautes branches et annonça : « Dis-moi, arbre, ce que je dois faire pour calmer ta colère !
– Je veux que tu attrapes une des grosses limaces jaunes qui grimpent sur mon écorce et que tu la manges !
– Ah non ! C’est dégoûtant ! s’écria Amélia. Si c’est ça, je rentre à la maison !
– Attends ! Attends ! reprit l’arbre. Non, en fait, fais trois tours sur toi-même… Un saut à pieds joints et frappes des mains deux fois ! »

Amélia s’exécuta et au second claquement de mains, un petit garçon sortit de derrière les buissons, l’air hilare.

« Les arbres ça parle pas, patate !» s’esclaffa-t-il. La fillette envoya une bourrade amicale à l’enfant, scellant une amitié sans retenue entre eux. Il s’appelait Arthur et ils commencèrent à se promener dans les sous-bois pour y découvrir toutes sortes de trésors.

L’heure du goûter arriva plus vite qu’ils ne s’y attendaient et ils se donnèrent rendez-vous au même endroit le lendemain pour continuer leurs explorations extraordinaires. C’est ainsi que tous les jours sans école, ils se retrouvaient dans le sous-bois pour vivre des aventures plus palpitantes les unes que les autres : courses d’escargots endiablées, parties interminables de cache-cache, duels de branches mortes digne des plus grands mousquetaires, construction de cabanes pour écureuils…

Le père d’Arthur était comptable et c’était, d’après lui, un travail très haut placé grâce auquel lui et sa famille avaient le droit d’utiliser pleins de mots intelligents. Il passait son temps à apprendre des mots compliqués à Amélia pour qu’elle puisse profiter de ce privilège. Les jours de pluie, ils se réfugiaient chez la grand-mère d’Amélia, deux maisons plus loin, pour dessiner, jouer à des jeux de société ou pour faire la dégustation de biscuits faits maisons, tout en critiquant leurs mets avec les nouveaux mots du jour (« La robe est goûtue ! » « Certes mais le parfum est facturable.»).

Une de ces après-midi sans soleil, Arthur lui montra un dessin qu’il venait de faire où il avait écrit un message dans leur langage secret. Le dessin les montrait tous les deux dans leur bois et la légende disait : « Il n’y a que les adultes qui s’ennuient ».

***

Amélia avait passé une mauvaise journée. Le travail avait été fatiguant et son rendez-vous avec Arthur, c’était mal passé. Quel idiot il était ! Elle perdait vraiment son temps à sortir avec lui alors qu’elle aurait pu trouver un petit ami tellement mieux.

Alors qu’elle descendait de la voiture d’Arthur en claquant la porte, elle jeta un œil sur la maison. Le toit était couvert de mousse, la peinture des volets s’écaillait, les mauvaises herbes parsemaient l’allée… Décidément, tout tombait en ruine dans sa vie. Elle s’approcha de l’entrée, enfonça la clé dans la serrure et dû aider d’un coup d’épaule pour que la porte s’ouvre. Sans un regard aux vieilles photos accrochées aux murs, elle posa les clés sur un meuble et escalada les marches quatre à quatre pour aller poser son sac dans sa chambre.

Elle ferma la porte du grenier qu’un courant d’air avait encore laissé béante et jeta ses affaires sur son lit, sans prendre le temps de rentrer dans la pièce. Elle ne posa même pas un regard sur cette poupée vêtue d’un calicot qui se tenait fièrement sur son bureau. Elle ne supportait plus ce papier peint rose délavé que son père, parti chercher du pain depuis bien trop longtemps, avait posé. Elle ne supportait plus la vue de sa chambre, ni de cette maison. Elle avait faim. A cause de sa dispute avec Arthur, elle n’avait pas pu se satisfaire de son cheeseburger. Elle redescendit les marches et se dirigea vers la cuisine.

Elle arrache le post-il jaune qui s’accrochait désespérément au réfrigérateur. « Beaucoup de travail, je rentre tard. Bisous. Maman. » Amélia le froissa et le lança dans la poubelle, avant de s’emparer d’un yaourt dans le frigo. Un bruit lui fit baisser les yeux. Un dessin en partie déchiré gisait à ses pieds. Une représentation disproportionnée de deux personnages dans un bois et des hiéroglyphes enfantines que les aimants du frigidaire avaient dû laisser tomber. Amélia le ramassa, s’y attarda à peine et le posa sur un coin de meuble.

La maison était trop silencieuse. Elle s’étala dans le vieux canapé, s’empara de la télécommande, appuya sur les boutons mécaniquement et ainsi commença l’ennui.

Ecrit le 11/09/11.