Nouvelle écrite pour le défi n°2 du blog « En quête de mots » en novembre 2010.

Contraintes à respecter :
– le titre : L’instant d’après 
– ouvrir un livre, magazine, etc. (n’importe lequel sur n’importe quel thème) à la page 47. Utiliser le premier adjectif de la page 47 dans votre récit (s’il s’agit de « grand(e) » prendre le second)
– utiliser un néologisme et un seul
– utiliser les mots : fenouil, arbitraire, pyramide et un personnage nommé « Monsieur » (tout court)
– faire mention de la date du 24 décembre 2057
– l’action doit se passer dans une ville où vous avez vécu ou passé une grande partie de votre temps
– l’action doit se passer dans le futur proche ou lointain
– interdiction de faire apparaître des zombies, des robots, des androïdes (en résumé par d’humains modifiés, câblés, en Wi-fi tout ça tout ça) ;
– interdiction d’utiliser l’adjectif grand(e) et aucune scène ne doit se passer dans une cuisine.

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L’instant d’après.

Un matin reste un matin, qu’importe ce qui a pu arriver la veille, que l’on soit rentré avec une créature de rêve ou que le ciel nous soit tombé sur la tête. On se lève, on allume sa télé, on remet en ordre ses antennes, on se prépare pour une dure journée de labeur. Pour ma part, c’était un matin de créature de rêve. Quand l’apocalypse est passée plus besoin de s’attendre au pire.

Après m’être préparé en silence, j’attrapais ma mallette et sortais discrètement en jetant un dernier coup d’œil sur la forme endormie sous mes draps. Une fois dehors je ne regardais même plus le ciel gris et bas qui surplombait la ville, je me contentais de me frayer un chemin dans la foule, véritable nuée d’insectes où l’enjeu principal est de ne pas se laisser écraser. Je marchais sans prêter attention à ce qui m’entourait.

Finalement les rues étaient plus sûres maintenant qu’il n’y avait plus de voiture ou d’autres engins motorisés. Il n’y avait plus beaucoup à voir non plus, mis à part de vastes étendues de débris en tous genres disséminées entre les quelques immeubles encore debouts.
Une pancarte indiquant ce qui fût le métro gisait par terre, soulevée par des bourrasques et, bien qu’en majeure partie calcinée, on pouvait encore y lire « Mairie de Clichy ». Les noms n’avaient plus de sens dans ce monde, ils se rapportaient presque tous à des choses anéanties. Ce qui était la mairie peu de temps auparavant n’était plus qu’un amas de pierre informe et aurait très bien pu se nommer « pyramide » ou « théâtre » sans que personne ne s’en offusque.

Je parcourais les quelques rues qui me séparaient de mon lieu de travail et j’aperçus une silhouette au travers la vitrine de verre poli. Mon patron était déjà là. C’était un personnage un peu bourru qui se faisait appeler « Monsieur » tandis qu’il s’évertuait à nous appeler par nos patronymes. Dépourvu d’imagination, d’organisation et fort d’une tendance à prendre des décisions de façon arbitraire, je n’aurais jamais pu imaginer qu’une personne comme lui puisse tirer son épingle du jeu dans un monde où les conventions et la normalité n’étaient plus que de lointain concepts.

« Bonjour Monsieur » lançais-je en me faufilant dans l’encadrement de la porte. Perdu dans ses pensées, il jeta un coup d’oeil furtif dans ma direction sans prendre la peine de me répondre. Je savais pertinemment ce que cela signifiait : premièrement, qu’il était inutile d’attendre une réponse et deuxièmement, qu’on nous avait confié l’exploitation d’une nouvelle source de nourriture. Je profitais qu’il soit absorbé par sa paperasserie pour rejoindre la machine à café. Il n’allait sûrement pas tarder à me charger d’une tâche ingrate et je voulais profiter de l’unique moment de détente qu’allait m’offrir cette journée.

Tandis que le gobelet se remplissait, je m’assis face à la table branlante, les yeux perdus sur le revêtement en formica. Je repensais à elle et me remémorais avec délice chaque instant passé la veille. Je la revoyais clairement, son entrée dans le restaurant, ses formes voluptueuses et sa magnifique robe rouge. « J’espère que tu n’es pas une mante
religieuse ! » lui avais-je glissé en plaisantant et elle avait ri délicieusement avant de se replonger dans la dégustation de son morceau de fenouil.

« Ari ! s’écria soudain le chef. Nous avons du boulot. Prenez vos affaires, nous y allons ! » Je laissais derrière moi mes images d’Antéa et mon gobelet dans la corbeille, puis lui emboîtais le pas en direction de la gare. Le travail était une obsession chez lui et il ne cessait de me rappeler les techniques les plus utilisées pour conserver la viande. « L’important, disait-il en boucle, c’est de la transporter rapidement aux réfrigérateurs parce que, même si nous avons plus de nourriture qu’on aurait pu en rêver, si on ne la protège pas correctement, notre survie ne durera pas. » L’optimisme n’était pas son fort non plus.

Lorsque nous arrivâmes dans le hall de la gare, mon regard se porta aussitôt sur un panneau d’affichage bloqué au moment fatidique : 8h30, le 24 décembre 2057. Des restes de corps étaient amoncelés dans tous les sens et une  mauvaise* odeur règnait dans le bâtiment indiquant qu’il y en avait une quantité importante. Pour qu’il y ait autant de corps, ils avaient dû être surpris pendant une heure de pointe. Les ouvriers étaient déjà là, prêts à créer une chaîne pour porter chaque morceau un à un jusqu’au local.

Oubliant mon employeur et son soliloque, je m’avançais jusqu’à un crâne en majeure partie décomposé. Je me tenais à ses pieds, jaugeant son immensité au-dessus de ma tête, et trouvais dommage qu’une espèce se retrouve anéantie aussi vite mais je me ravisais tout aussi rapidement. L’humanité tombée, nous nous élevions à son rang l’instant d’après.

* Adjectif page 47 de « L’assassin Royal 12 – L’homme noir » de Robin Hobb.

Ecrit le 9/10/2010